Je suis retombé sur cette nouvelle, écrite en 2012, lors d’un atelier écriture en licence, dont la contrainte était « le monologue » et « une expression qui revient souvent ». Je l’ai retrouvé en rangeant des bricoles, et ça m’a beaucoup rappelé certaines séances de dédicaces. Je me suis dit que j’allais la republier. Excusez donc le style un peu daté, j’ai fait mieux depuis.

LA DÉDICACE

La file d’attente est longue. Mais ça en vaut la peine. Oh ouais, boudiou, ça en vaut la peine ! C’est pas tous les jours qu’on a Reynald Blanchard en dédicace près de chez soi. LE Reynald Blanchard ! Surtout quand on habite une petite ville pourrie.

Quelques mesures de sécurité sont en place. Il ne faudrait pas qu’un accident malheureux arrive. Surtout qu’il y a du monde. Beaucoup de monde. Moi qui pensais être le premier arrivé ! Je ne croyais pas qu’il y aurait autant de fans de Reynald Blanchard. Surtout que moi, bon, hein, je suis quand même son plus grand fan.

De lui, j’ai tout. TOUT. Ses livres, évidemment, mais aussi ses photos, interviews, et le coffret collector de la série (pourrie) inspirée d’un de ses romans. J’ai même une pièce unique : un stylo qu’il a mâchouillé lors d’une dédicace, et qu’un vendeur de la FNAC m’a gentiment mis de coté. J’ai fais un classeur de ses articles de presse, et j’ai mis en favoris Youtube tous ses passages télévisés. Non, vraiment, c’est MOI son plus grand fan.
Faut dire que ce mec est un putain de génie ! Il a écrit son premier roman à 14 ans. 14 ans, quoi ! A cet âge-là, moi je ne savais même pas ce que c’était qu’un roman. Je lisais que des « Boule et Bill ». Et puis ce mec, c’est pas le dernier des cons. Je me souviens d’une émission où il était invité, en même temps que les candidats imbéciles de « Qui veut épouser ma vache ». Et quand on lui a demandé son avis sur l’émission, il a répondu, de but-en-blanc et en direct : « C’est grave, je pense. Faire l’apologie de la médiocrité, à une heure de grande écoute, devant des millions de gens, ça m’attriste et ça me fait peur. » J’aime ce mec.

La foule s’agite. On chuchote, on murmure. Une fille dit un peu plus fort « Il parait que Reynald Blanchard est là… ». « Ou ça ? ». La foule se retourne, et moi avec. C’est lui ?

C’est lui. C’est lui. C’est LUI ! C’EST LUI ! Oh putain de boudiou, c’est vraiment lui ! Je suis à deux mètres à peine de Reynald Blanchard ! Il est là ! Il est ICI, en face de moi, boudiou de boudiou de boudiou !
Bon, allez, du calme, boudiou ! On inspire, on expire… Il traverse la foule, fait coucou à tout le monde. A un moment, je crois effleurer sa main, mais non, trop tard. Il s’installe à la table. J’entends le gars de la sécurité lui chuchoter qu’il a jusqu’à 16 heures, et lui, répondre que non, qu’il restera plus longtemps s’il y a du monde. La file commence à avancer. Boudiou de boudiou, je suis trop excité ! Je trépigne sur place ! Derrière, j’entends « Putain, il faut qu’il se calme, machin, là ! » Êtres abjects, je vous méprise. Vous ne méritez même pas d’être là. Je suis sûr que vous êtes là par pure curiosité. Que vous ne connaissez Reynald Blanchard que de nom. Que vous savez qu’il est un peu célèbre. Que ce serait classe d’avoir son autographe. Mais ça marche pas comme ça, boudiou ! Avoir une dédicace, ça se mérite ! Il faut aimer, admirer, vénérer la personne qui vous donne le privilège de vous parler. Ignares !

La file avance toujours. Qu’est ce que je lui dirai quand je serai en face de lui ? « J’aime beaucoup ce que vous faites » ? Trop convenu. « J’ai lu tous vos livres » ? Trop facile aussi. Non, il faut que je trouve quelque chose qui me démarquerait des autres. Pourquoi pas « Vous pouvez pas imaginer à quelle point ça me fout la trique de vous rencontrer » ! Euh, non, non, carrément pas ! Houlala, mauvaise idée. Restons dans le convenu. Pourquoi pas « C’est un véritable honneur pour moi de vous rencontrer » ? Oui, ça sonne pas mal. Bon, c’est un peu convenu, mais c’est sans doute le mieux. De quoi pourrais-je lui parler ? Je suppose que tout le monde va lui parler de son dernier roman, « Les roses du marcassin ». C’est vrai qu’il est bien. Mais boudiou, il a fait d’autres choses, ce mec ! Je sais ! Je vais lui parler de « Comme un arbre dans le ciel » ! C’est un roman absolument énorme, que toute la presse a critiqué ! La plupart de son public l’a boudé. Et je comprend vraiment pas pourquoi ! C’est carrément une de ses meilleures œuvres ! Il l’a toujours ardemment défendue ! Je suis sans doute une des rares personnes à l’aimer. Ca me démarquera des autres. Allez, c’est dit !

A travers les dos et les cheveux, je distingue son visage. Boudiou, c’est vraiment trop génial ! Je capte des chuchotements. « Le vigile a dit qu’on a droit qu’à une seule dédicace ». Merde, lequel de mes trucs je vais faire dédicacer ? Le coffret DVD ? Une photo ? Un poster ? Mon beau dessin que j’ai fait sur une belle feuille A3 ? Non, je passerais pour un con ! Alors, la photo, le poster, le DVD… Allez, le DVD !

Plus que 5 mètres. J’entends le son de sa voix, boudiou ! Plus que 4 mètrs. Je trépigne, je piétine. Plus que 3 mètres. Je le vois sourire, se laisser photographier. Plus que 2 mètres, le vigile m’arrête, me dit de patienter encore quelques instants. Je tremble comme une feuille. Plus que 1 mètre. Mon cœur bat à mille à l’heure… C’est mon tour.

Bonjour. A quel nom ? Ah, c’est joli. Véritable honneur. Hihi. J’ai adoré « Comme un arbre dans le ciel ». Merci, c’est gentil. Voilà. Bonne journée à toi. Merci, vous aussi.

Je sors de la file avec des étoiles dans les yeux. Il m’a serré la main, boudiou ! C’est vraiment génial. Tiens, l’escalator… Je relis son écriture « Pour Rémi, toutes mes amitiés, Reynald B. » Ah, c’est vraiment… tiens, ils ont sorti le nouveau modèle de radio-réveil ? Enfin bref, Reynald Blanchard m’a dédicacé mon DVD. C’est vraiment… les biscuits Belin en promotion ? Génial. Je vais en prendre !

Quoi, c’est tout ? Je viens de serrer la main à Reynald Blanchard, et je suis déjà passé à autre chose ? On trépigne des heures, on patiente, on à le cœur qui bat à cent à l’heure… Et au final, quelques secondes d’échange cordial, et puis rideau.

Finalement, une dédicace, ça n’est pas grand-chose.

Les commentaires sont fermés !