Je ne comprend pas les « Let’s play ».

Je ne comprend pas qu’une personne puisse passer un certain nombre de minutes, voire d’heures, à regarder un de ses condisciples jouer tranquillement à un jeu quelconque (souvent les mêmes, d’ailleurs). Surtout qu’il y a à peine quelques années, ce genre de pratique était plutôt malvenu.

Replongez-vous quelques années en arrière, si vous le voulez bien.

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Vous êtes jeune, plein de vie, et avide de jeux vidéo. Un pote vous invite chez lui pour jouer à la console, en disant « viens, j’ai un nouveau jeu trop cool, ça s’appelle Crash Bandicoot ». Vous vous précipitez chez lui, et vous le regardez jouer. Pendant une trentaine de minutes. Au bout d’un moment, vous posez la question fatidique…

« Tu me laisses essayer ?
- Attends, 2 secondes, je finis ce monde. »

Au bout d’une heure, il finit ledit monde.

« Je peux essayer maintenant ?
- Attends, y a un nouveau monde qui vient de se débloquer !
- Oui, logique, puisque tu viens de finir le précédent.
- Bah je l’essaie un peu et je te laisse jouer. »

Et ainsi de suite. Au bout du compte, vous avez passé un après-midi à regarder un de vos potes jouer à un jeu. Trop cool, non ?

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Nous sommes en 2013. Et une poignée de joueurs (du dimanche) se filment en train de jouer sur un serveur Minecraft ou de poutrer du terroriste sur un quelconque Kolof. Et ils accumulent les milliers de vues. Et ils en vivent. Je ne comprends pas.

Je peux comprendre, et j’apprécie même, qu’on regarder jouer quelqu’un de particulièrement doué. Qu’on regarde une émission à sketchs autour d’un jeu. Qu’on nous fasse découvrir juste le début d’un jeu, comme ça, pour nous donner envie.

Mais regarder un mec jouer en boucle au même jeu, en commentant tout ce qu’il fait… Je ne comprends pas que ça marche. Et je m’en suis particulièrement rendu compte en faisant mon propre Let’s Play (Pokémon Bleu en moins de 4 heures). On avait ici un petit challenge, un défi à relever (chaque jour qui passe !). Et j’ai reçu des suggestions du genre « Vas-y, fait plus de let’s play, quand tu fais du Mario Kart, tout ça ! »

Je ne comprends pas.

 
ET TOKITO QUI BALANCE UN BAS GROS POING ! OUI ! IL EST COINCE ! ET L’ULTRAAAAAAAAAAAAAA ! RHOOOOOOO, OUIII, J’AIME CE JEU !

Prenons l’exemple de ce reportage sur le Stuntfest, réalisé par la chaine Nolife en 2011, où j’ai pu découvrir ce spectacle hallucinant : Des joueurs professionnels se tatennent avec talent, sous les hourras de spectateurs déchainés, avec un commentateur sous cocaïne beuglant des onomatopées de circonstances qu’il faudra un certain temps avant de comprendre.

On assiste ici à de l’entertaining pur jus, alliant la performance au ludique, la fascination et l’amusement. On assiste ici à quelque chose au delà du Let’s play, mais bel est bien d’un divertissement à base de jeu vidéal (un jeu vidéal, des jeux vidéo).

Les exemples ne manquent pas. On peut également penser à Faster Than Light, qui reviens sur des jeux bouclés en un temps record, ou bien du Joueur du Grenier, qui joue avec certains jeux particulièrement ratés et qui s’en sert comme base pour écrire des sketchs.

Chez Marcus se situe dans la limite entre l’émission de jeu vidéo et le Let’s Play. Prolongation de l’ancienne émission « Level One », Marcus nous propose de nous faire découvrir le premier niveau d’un jeu vidéo. Si la mise en scène de l’émission est similaire à celle d’un Let’s Play (un joueur peu doué commente sa partie), on assiste, non pas à une performance de joueur (d’autant que Marcus est vraiment très mauvais), mais plutôt à une découverte du jeu via les premières minutes de jeu.

Alors voilà, on peut se dire que tout ça c’est subjectif, que certains let’s playeurs sont très amusants, inventifs, audacieux… Peut-être, mais ce ne sont pas eux qui font le plus de vues. Ceux qui font le plus de vues ce sont les parties de Bateulfilde et les chateaux en cubes.

« Salut Bloublou26, yololo, alors là ou est sur un serveur avec des têtes de cheval, c’est trop marrant, ça me rappelle la Bête du Chevauchant. Mais trêve de billevesées, courons dans les champs en sautant en permanence, et craftons des cochons ! »

Imaginez la situation, ne serait-ce qu’un instant. Vous êtes en 1998, et Internet est trop peu répandu.

- « Hé, les gars, venez chez moi, vous allez me regarder jouer à Mario Kart pendant 4 heures ! » => « Euh… non merci, ma maman a fait des cookies »
- « Hé, les gars, venez chez moi, on va jouer à Mario Kart tous ensemble ! » => « WIPEEEEEEEEEEE !!! »
- « Hé, les gars, venez chez moi, j’ai trouvé un moyen de gagner 2 tours en 40 secondes sur Snowland sur Mario Kart 64 ! » => « Ah, cool, on arrive :) ! »
- « Hé, les gars, venez, on va jouer au Monopoly ! » => « …ouais. T’as pas Mario Kart, plutôt ? »

Alors comment expliquer cet engouement soudain ?

- D’abord grâce au charisme naturel de certains joueurs. Pas spécialement doués, pas spécialement intéressants, pas spécialement drôles, ils ne brillent au final que par leur présence vocale, leur manière de formuler, de s’impliquer dans le jeu. On citera comme exemple ledit « Bob Lennon », célèbre pour son costume particulier et ses tournures de phrases qui font frémir des milliers d’abonnés à sa chaine Youtube.
- Ensuite par le fait que nous sommes dans une génération qui vit par procuration. Le fait de regarder un joueur vivre sa vie, raconter ce qu’il fait, n’est finalement qu’un prolongement, pardon de le dire, des magazines people et des émissions de télé-réalité, avec des « vrais gens » qui vivent des choses. Et le spectateur de se dire « Trop bien, il vit les mêmes choses que moi ! »
- Peut-être aussi que le joueur fait un « concours de bite » avec le let’s playeur, en se disant « Ha, je joue mieux que lui ! ». Une variation de la célèbre phrase de l’époque du pote qui t’invite : « Ah, mais tu joue comme un pied ! File-moi la manette, je vais te montrer comment c’est facile ! »

Je sais pas, je cherche, hein !

« Bon alors voilà, là il y a des terroristeuuuhs, ils sont caché derrière un immeuuuuuble. Alors je vais prendre le M24, parce voilà, le M24, c’est mon arme préférée. Elle est jolie et elle fait un joli bruit. Et là ya les terroristeuuuuhs, je crois qu’ils mon vu. Alors je vais me cacher. Voilà. Voilà. Alors… Alors voilà… Donc. Là je suis caché. Je peut recharger mon M24. Et donc là je vais sortir. Voilà. Alors je suis mort. Bon. Alors ça c’est parce qu’il y a des tchiteurs sur le serveur, et ça c’est relou. »

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Le plus détestable dans cette affaire, c’est que ces gens sont rémunérés. Ils vivent en jouant à des jeux vidéo, et sont rémunérés de manière franchement indécentes. On leur offre des jeux et on les invite à l’E3. C’est consternant.

J’attends avec impatience le jour où, à la manière des potes qui te laissaient jouer et essayer leur nouveau jeu, les let’s playeurs mettront en place un système ou les spectateurs pourront prendre part à la partie, commentés par Bob Lennon et Cyprien. Même avec des commentaires du style « Pouarf, qu’il est nul, ce mec ! »

Ça aura toujours un plus grand intérêt.